LOKI LONESTAR est mort, vive LOKI LONESTAR

LOKI LONESTAR est mort, vive LOKI LONESTAR

Pierre Sopor 12 mai 2025

Depuis une vingtaine d'années, nous avons suivi les aventures mouvementées de Loki Lonestar dans ses différents projets, du groupe de metal psychédélique Nutcase à la techno hardcore de Micropoint. Les projets se sont suivis mais ont rarement duré, alors que le chanteur / performer faisait toujours preuve d'une énergie impressionnante sur scène. Cette fois, ça y est, fini : il arrête. Ces derniers temps, il officiait sous son nom de scène, Loki Lonestar, mais usé par les difficultés rencontrées en route, il y met fin avec un dernier single. Loops, avec en invité Sodoma Gomora, sortira bientôt et est le fruit de plusieurs mois de travail avec plusieurs "réguliers" de l'entourage de Loki Lonestar impliqués.

En attendant, nous avons été nous entretenir avec cet artiste atypique, hyperactif généreux que l'on a connu à la fois écorché, intime et entertainer facétieux. Il arrête, mais il continue : avec Lady La Fée et RATM Tribute, il trouve à La Réunion des collectifs où s'épanouir au sein des chansons des autres. Plutôt que de se laisser abattre par ses déceptions, il évoque pour nous la magie de la musique et l'intemporalité qu'il trouve dans les chansons qu'il reprend, une intemporalité qui se retrouve en filigrane dans le single à paraître, Loops (boucles, en anglais) : tout est cyclique et, avant de parler d'une éventuelle renaissance, il faudra mourir quelques temps.

Tu as décidé de mettre fin à Loki Lonestar en tant que projet. Qu'est ce qui t'a amené à ce choix ?
Depuis quelques temps, il y a des tensions dans le groupe... c'est à dire entre moi et moi-même. Enfin, même si on peut dire que c'est un projet solo, il y a beaucoup de personnes qui travaillent avec moi comme Mastermind par exemple, qui était là, est parti, est revenu... Il y a eu plusieurs époques mais là, ça faisait un moment que ça ne se développait pas beaucoup. Alors, quand j'ai vu que Shaka Ponk s'arrêtait, je me suis dit "wouah, c'est trop des stars, c'est trop mes héros, alors je vais faire tout pareil !". J'espère que le ton est suffisamment ironique !

Au-delà du nom de ton projet musical, Loki Lonestar est aussi ton nom d'artiste. Vois-tu cet arrêt comme une forme de mise à mort de ton personnage ? Est-tu dégoûté de la musique ou comptes-tu continuer d'autres projets ?
Je continue toujours mes autres projets, Lady la Fée et RATM Tribute, mais c'est vrai qu'il y a un peu quelque chose de symbolique là-dedans : si je veux renaître, je dois accepter de mourir, c'est presque quelque chose d'ésotérique. J'ai besoin de me réinventer, de réinventer ce que je fais. Ça me parait essentiel pour dépasser le bad mood et le marasme dans lequel je suis avec le projet Loki Lonestar depuis quelques années. Tu vois, je connais quand même beaucoup de gens avec qui j'ai fait de la musique, j'ai fait des bonnes premières parties comme Shaârghot ou Punish Yourself... Mais je constate que depuis des années, il n'y a pas grand monde qui m'a tendu la main, pas grand monde pour s'intéresser à mon travail. Tu vois, ça me plait de manager Lady La Fée car il s'agit d'un collectif où tout le monde est ravi d'avoir un capitaine de navire et ne conteste pas mes décisions. C'est ça qui est difficile dans un groupe, c'est l'humain. J'aime travailler avec les gens mais j'ai aussi besoin que les gens me fassent confiance en retour. Dans Lady La Fée, il y a énormément de personnes qui gravitent autour du projet, que ce soit des performeurs, des danseurs, ceux qui font l'infographie, etc, et tout le monde a confiance en ma vision, qui devient la vision du projet. Avec Loki Lonestar, c'était différent : j'avais l'envie de rentrer dans l'industrie et de trouver un tourneur, un producteur et tout ça. J'ai commencé un album qui est inabouti, que je n'ai pas pu terminer car il n'y a personne qui m'aide, je dois tout faire tout seul, mettre moi tout l'argent... Il semblerait donc que ça n'intéresse personne. Le do it yourself, ça va un moment, quoi. Certains arguments qu'on a pu me donner par le passé comme le fait qu'on est trop nombreux avec Lady La Fée par exemple, alors qu'on a réussi à tous être intermittents avec ce projet, ça ne tient pas avec Loki. Je suis seul, en duo ou en trio, et il n'y a aucun booker que ça intéresse ? Ça me parait hallucinant. J'avais pourtant démarché à fond et j'étais même prêt à faire 50/50 avec le mec qui vend le plateau, ce qu'aucun artiste ne proposerait !

Tu es revenu vivre à La Réunion il y a quelques années. Penses-tu que cette décision t'a été bénéfique, ou au contraire t'a compliqué la vie pour développer tes projets ?
C'est un choix que je ne regrette pas du tout. J'avais déjà quitté Paris pour vivre à Berlin dans un premier temps et je t'avoue que depuis, je trouve que Paris c'est la Préhistoire, que ce soit pour l'art, l'ouverture d'esprit, les concerts et même pour les filles dans le métro ! Alors oui, il y a beaucoup de concerts à Paris, mais t'as le choix entre des trucs genre Taylor Swift et Deftones ! Pour un artiste qui a besoin de faire de la scène pour faire découvrir sa musique et qui a besoin d'avoir en face de lui un public curieux, je déconseille à n'importe quel groupe d'aller à Paris ! J'ai tourné partout en France et dans n'importe quelle petite ville, je trouvais un public bien plus curieux. Tiens, par exemple, la première fois que j'ai vu Marilyn Manson, j'étais scié : c'était à Paris en 2003 avec Peaches en première partie. La salle s'est mise à huer Peaches et les gens hurlaient des trucs comme "casse-toi, sale pute" ou lui crachaient dessus ! Alors qu'elle venait de faire un show monumental ! Et cet exemple, je le trouve à l'image du public parisien, qui vient voir un artiste mais n'a aucune curiosité. Eh ben ce soir-là, Manson n'a pas fait de rappel, il a fini son show et s'est cassé. Les gens l'ont traité de snob, mais il faut décrypter un peu : c'était lui qui avait choisi sa première partie et non sa maison de disque, il était ravi de la présenter au public français... et le public français lui a chié dessus parce que c'était une meuf et qu'il avait juste envie de voir Manson ! Je pense aussi qu'à Paris, l'offre est plus grande que la demande. Finalement, je n'ai jamais autant joué que depuis que je suis à La Réunion. Même s'il y a très peu de moyens, il y a beaucoup de café-concerts pour les artistes underground. Même si ce ne sont pas des soirées gigantesques, je tombe sur des gens qui ont à cœur d'être réglo avec les artistes et on fait en sorte que tout le monde s'y retrouve. Alors qu'à Paris, je ne te raconte pas le nombre de fois où je n'étais pas payé, voire les fois où on me demandait de payer pour jouer ! Je pense qu'il y a vraiment deux niveaux à Paris : l'underground d'un côté, où tu ne te développes jamais, et le haut du panier où tu n'as plus aucun souci. Je pense à Shaârghot par exemple, pour qui aujourd'hui tout roule. L'intermédiaire n'existe pas.

Oui, être artiste peut être très ingrat car il faut porter soi-même son projet sans que personne ne t'attende ou ne te réclame, du moins au début, on court après des rêves qu'on n'atteindra jamais... est-ce qu'il arrive d'être heureux dans cette vie, d'y trouver de quoi t'épanouir ?
Oui, on ne dirait pas comme ça mais en fait je le suis de plus en plus, notamment grâce au collectif Lady La Fée. C'est aussi pour ça que je m'y consacre autant depuis quelques années. J'ai eu plusieurs groupes qui se sont arrêtés: Nutcase, HeYs, Tricksterland... il y a toujours un moment où ça devient chaud dans le collectif. Soit il y avait des visions différentes, ou bien des gens qui ne voulaient pas devenir pros. Enfin, tout le monde a envie de devenir pro, mais tout le monde n'est pas prêt aux sacrifices que ça exige. Moi, depuis toujours, je fais des sacrifices dans tous les projets auxquels j'ai participé. C'est ce qui a payé et qui a fait que j'ai quand même réussi à développer des trucs. J'ai créé Tricksterland et on a monté tout ce projet de zéro en seulement un an. Saul, mon guitariste dans Micropoint, a halluciné ! Il y a plein de moments qui sont chouettes, mais c'est vrai que la réalité nous rattrape souvent ensuite. C'est ce qu'il se passe avec Loki Lonestar : il n'y a plus de moments chouettes, en fait. Devoir batailler autant à chaque étape, c'est lourd. Alors que quand tu es dans un collectif où tout le monde croit au projet, tout le monde est impliqué, ça permet de grandir.

Il t'arrive de regretter d'avoir fait autant de sacrifices ?
Non, pas du tout. Même quand j'ai fait de mauvais choix, j'ai appris des choses. Tout ce que j'ai vécu jusqu'à présent m'a énormément formé. Je n'ai pas fait d'études mais c'est comme si j'avais un doctorat dans plein de domaines différents ! Depuis le temps, je connais bien l'envers du métier et c'est pour ça que le fait de manager un projet comme Lady la Fée me plaît autant.

Le dernier EP de Loki Lonestar était très sombre, le titre Loops qui conclura l'aventure l'est aussi, tes propos en début d'interview montrent une certaine amertume... Pourtant, tu ne sembles pas coincé, ni dans le passé ni même dans le présent...
C'est vrai que j'essaye toujours de me réinventer, d'aller de l'avant, de surmonter les épreuves. C'est comme ça que j'essaye de voir les choses mais je suis comme tout le monde, il y a aussi des moments plus compliqués. Dans ce cas, j'essaye de prendre sur moi.

Donc tu n'es pas dégouté de la musique ?
Non, pas du tout. Mais après, si dire que j'arrête la musique pour de bon me permet de faire une grande tournée d'adieu comme Shaka Ponk, alors oui, notez tous : Loki Lonestar arrête de faire de la musique !

Parlons un peu de ce dernier titre, Loops. Tu y es très effacée, que ce soit parce que tes invités Sodoma Gomora sont plus présents ou parce que ta voix semble lointaine, comme si tu étais déjà un fantôme. Ce qui fait écho au fait que ce soit ton dernier titre...
C'est très juste. C'est aussi quelque chose que j'aime faire, laisser la place à mes invités. J'avais déjà fait un featuring avec Sodoma Gomora sur 19 Bellz, et déjà à l'époque le producteur du morceau, à savoir Radium de Micropoint, m'avait fait cette remarque. Je le cite parce que j'avais beaucoup aimé comment il m'a dit ça : "tu te fous de la gueule du monde quand même, parce que moi si je suis fan de Loki Lonestar et quand j'écoute le morceau, j'ai l'impression que Loki invite ses potes pour un buff et qu'il n'est même pas dans le studio" ! Loops est un titre sur lequel on travaille depuis un moment et qui a connu plusieurs époques. On y travaille depuis plus d'un an et demi et, quelque part, ce titre représente aussi la fin de cette époque. Le clip a déjà été tourné et tout... mais on n'arrive pas à se mettre d'accord sur le mix final avec les différents protagonistes ! C'est une vraie galère d'arriver à la terminer. A l'origine, il devait être uniquement électronique mais avec le temps différentes personnes ont travaillé dessus : Sodoma Gomora, donc, mais aussi Al Core de Micropoint. L'idée était de mélanger plusieurs genres. Je voulais y inclure un rappeur français plutôt connu mais quand je l'ai démarché ça ne l'a pas fait. Toutes ces choses donnent peut-être au titre son côté bizarre. La dernière pièce qui s'est ajoutée, c'est la guitare, qui est d'abord discrète et devient au fur et à mesure l'élément principal, et qui est jouée par Dico Bliss de Nutcase. Je trouve que ça donne une lecture plus profonde du morceau, qui, avec tous ses invités, raconte plusieurs époques de ma vie. C'est la fin d'une époque... mais il y aura peut-être une autre version de ce morceau avec plus de Loki Lonestar dessus, qui sait ?

Tu viens de mentionner Nutcase. Vous aviez ressorti deux morceaux il y a deux ans après de longues années de silence. Est-ce que ce projet est amené à avoir un avenir ?
Les morceaux sont sympas, mais ça reste difficile. Là encore, c'est la fin d'une époque. On avait plein d'idées et de nouveaux trucs dans les tiroirs, mais là aussi tout est assez compliqué à mettre en place, notamment parce qu'on n'est finalement que le guitariste et moi et qu'on n'a pas vraiment d'autres membres. C'était chouette de sortir ces titres-là et on verra ce qu'il en est, mais je pense que ça appartient au passé. Je disais tout à l'heure que je trouve les gens pas très curieux alors on va leur dire de l'être : allez écouter ces deux titres. Ma préférée était D.R.Y., je trouve qu'elle défonce ! C'est difficile d'être aligné avec ce qui se fait actuellement en terme de sons si tu ne mets pas du blé et on revient au sujet principal : t'as beau faire de la super musique et avoir des idées, si tu n'as pas les moyens ou qu'on ne te donne pas les moyens, c'est compliqué de sonner actuel. En terme de production, tout cela a un coût et si tu n'es pas épaulé, il faut l'assumer seul.

Tu as évoqué à plusieurs fois le manque de curiosité du public à ton égard. Est-ce que tu penses que ça explique que Lady La Fée et RATM Tribute, qui reprennent tous les deux des chansons déjà existantes, trouvent plus facilement leur public qui va voir ce qu'il connaît déjà, d'une certaine manière ?
Oui il doit y avoir de ça. RATM Tribute, c'est un projet que l'on m'a proposé il y a quelques temps et dont je suis très fier. Dedans, je ne fais que suivre le mouvement, l'initiative est à l'origine du batteur. Il a constitué une super équipe et il leur manquait un chanteur, il se trouve qu'à La Réunion j'étais leur premier choix. J'étais conscient et lucide sur moi-même et je réalisais bien que si je devais me lancer là-dedans, je devrais bosser énormément pour pouvoir trouver un minimum de satisfaction dans ce que je fais et que ce soit bien. Si je fais quelque chose, c'est pour le faire à fond et en y laissant mon empreinte. Après deux ans dans ce projet, je suis vraiment très content sur scène et ça m'a énormément appris, surtout pour les parties hip-hop. Comme ça plait aux gens ce n'est pas difficile à booker mais les gars qui jouent dedans ont aussi leurs projets principaux à côté.

Dans Lady La Fée, l'idée était depuis le début de se faire plaisir et quand on fait des dates c'est très souvent sans première partie mais on joue deux heures. Il y a un entracte, comme un opéra ou une pièce de théâtre, ce qui nous permet de créer une espèce d'émulation avec les gens. C'est vrai que c'est plus facile parce que la plupart des gens connaissent les morceaux qu'on joue mais on y ajoute une énorme part de création. C'est ce qui me plait le plus dans ce projet, on peut tout renverser, on peut choisir de changer de style, de changer les accords ou les paroles... C'est un peu comme un mash-up de DJ, sauf que le DJ va caler deux ou trois disques alors que nous on est sept avec en plus des performances. Ça donne une espèce de cuisine extra-terrestre complètement dingue. Notre fil conducteur reste quand même de choisir des morceaux qu'on aime et que le public aime, ce qui est effectivement plus facile que de jouer des compos que personne ne connaît. On termine d'ailleurs chaque concert en remerciant les gens dans le public pour leur curiosité, parce que pour venir nous voir, il faut quand même être curieux ! On n'est pas seulement "un tribute band", on est LE tribute band qui mélange le plus de groupes au monde ! On passe de Slipknot à Chantale Goya... Enfin, il y en a d'autres qui font ça , comme Weird Al Jankovic. On essaye d'y mettre toute notre démesure, d'y ajouter ce côté théâtral, extravagant. Je reste un fan de Queen et Klaus Nomi !

En tant qu'artiste, quand tu as chanté des choses très personnelles qui viennent vraiment de toi dans tes autres projets, comment trouves-tu une forme d'épanouissement en interprétant les chansons d'autres personnes ? Arrives-tu à y mettre du tien ?
C'est vrai que ce n'est pas toujours évident. Déjà, je choisis les morceaux, on ne m'impose rien du tout. Il y a eu quelques méprises ces derniers temps avec des gens qui connaissent Loki Lonestar mais ne connaissent pas Lady La Fée et qui me disent des choses comme "je comprends que tu fasses ça, il faut manger"... Mais non ! Je fais ce projet parce que je suis libre de faire ce projet et que je m'y éclate ! Je choisis les morceaux que je veux reprendre, je les reprends dans le style que je veux, s'il y a un truc dans le texte que j'ai envie de changer, je le change. J'aime énormément le texte, pour moi c'est vraiment le truc le plus important. J'aime écrire, que ce soit des poèmes, des chansons... J'écris beaucoup. Pour moi, c'est ultra-important. Quand on reprenait Show Must Go On de Queen façon slow avec mon guitariste Saul, à l'époque plein de gens nous ont dit que c'était la première fois qu'ils comprenaient vraiment le texte. Un texte dépend beaucoup de la façon d'être amené. J'ai un autre exemple : Mad World, qui pour moi appartient autant à Tears for Fears qu'à Gary Jules ! Aujourd'hui tout le monde connaît la version de Gary Jules au point qu'on a presque l'impression que Tears for Fears n'avait pas compris leur propre chanson. Marilyn Manson a été très fort pour ça dans ses reprises, d'ailleurs. J'appelle ça les "chansons magiques" : pour moi, l'art, ce que l'on crée, est plus grand que l'artiste. Metallica est un groupe immense, mais Nothing Else Matters est plus grande que Metallica.

Les artistes ne peuvent effectivement pas prévoir ce que vont devenir leurs chansons...
Oui, une fois les chansons sorties, elles appartiennent aux gens. Il y a presque quelque chose d'ésotérique là-dedans. Pour en revenir à ta question, le fait de choisir ce que je veux me permet de m'approprier des textes et d'y mettre de moi. Ensuite, le fait d'être dans un collectif permet parfois de trouver des correspondances entre les chansons et c'est parfois magique de mélanger deux choses et de voir le résultat. Le fil conducteur sera toujours le texte. Si le texte d'une chanson ne me plait pas, je n'ai pas envie de la chanter. Je ne peux pas être "seulement" interprète. Et une fois que j'ai choisi une chanson, que je le veuille ou non, j'y mets tellement de semence que je finis par la féconder !

Tu as eu beaucoup de projets par le passé, tu es parti dans beaucoup de directions au point parfois que l'on perde le fil... Est-ce que le fait d'avoir le cadre imposé par ces morceaux préexistants t'aide à te canaliser, à mieux définir des limites pour guider ta créativité ?
Tout à fait, très bonne analyse, c'est super, j'ai l'impression d'être chez un psy ! Tu sais ce qu'on dit : de la contrainte nait la créativité. Dans RATM Tribute, le cadre est très défini mais je pense que je ramène un côté encore plus metal. Les autres dans le groupe préfèrent jouer la partition comme elle est jouée mais moi, à la voix, j'essaye d'apporter plus de méchanceté. Dans Lady La Fée, le fait que le texte soit déjà écrit m'aide énormément. Même si on a envie de faire n'importe quoi, on a toujours une forme de cadre qui revient. Au début, avec Lady La Fée, j'avais une espèce de pupitre avec les chansons dessus et ça m'a aidé à définir mon rôle : aujourd'hui, je me sens comme un chef d'orchestre. Je n'ai pas fait d'école de musique, je ne connais pas le solfège mais le fait d'avoir le texte devant moi remplace la partition. Pour chaque phrase, je sais quel instrument joue quoi, quelle intervention il va y avoir, quelle performance, etc. J'ai l'impression de me rapprocher de ce que vivent les gens dans la musique classique, le texte est vraiment une partition pour moi. Je suis à la fois chef d'orchestre, Monsieur Loyal et toujours un trickster, un farceur. Effectivement, avoir ce cadre aide beaucoup, tout en sachant qu'à n'importe quel moment on peut décider d'ouvrir la porte et la fenêtre de ce cadre. Par exemple, on faisait une version de Killing in the Name de Rage Against the Machine avec Lady La Fée, et au moment du refrain on part sur Red Red Whine d'UB40. On a fait ça la première fois qu'on l'a jouée devant un public et les gens étaient morts de rire parce qu'ils ne s'y attendaient pas du tout. Je me rappelle des répétitions : on avait le cadre de Killing in the Name et tout à coup, à la fenêtre, il y a Red Red Whine qui a frappé. On a choisi de lui ouvrir la fenêtre et ça s'est fait tout seul, spontanément. Un peu comme Aerosmith et Run DMC qui mélangent leur style, sauf que là ce sont les morceaux qui ont décidé ça d'eux-mêmes. J'aime bien, je trouve que ça doit nous faire réfléchir en tant qu'artistes. Pour moi, ça parle de l'univers, ça parle des énergies, ça parle de l'intemporalité, du temps à travers la musique... Je vois la musique comme un voyage dans le temps. Quand tu écoutes une chanson, tu voyages dans le temps, vers ce qu'elle a été ou ce qu'elle pourrait devenir.

As-tu vu le film Sinners, qui est actuellement en salle ? Il y a cette idée à un moment que certains morceaux, quand on y met son âme, ont un pouvoir magique et permettent d'abolir le temps, avec une séquence qui va mélanger plusieurs époques et plusieurs genres de musique...
Non, je ne l'ai pas vu, mais c'est exactement ça quand je parle de chanson magique. Mad World a été composée à une époque précise, mais dans le futur, il y a déjà Gary Jules qui la réécrit. Ou Sweet Dreams reprise par Marilyn Manson. J'adorerais avoir cette discussion sur les chansons magiques avec lui un jour. Je suis sûr qu'on se comprendrait là-dessus. Pour moi, depuis qu'il a fait Sweet Dreams, Manson est à la recherche de ce genre de morceaux. Ces morceaux magiques où, si tu mets un peu de semence, un truc se produit. Quand j'écoute une chanson de Queen écrite il y a des décennies et qu'elle me parle, elle me parle à moi, dans ma vie d'aujourd'hui. Et ça, en tant qu'artiste, tu as beau le rechercher autant que tu veux, tu ne le maîtrises pas ! Tu ne peux pas décider de ce que ça va provoquer chez les gens. Dans ce que moi j'ai fait, je suis content parce que je trouve qu'il y a un morceau qui est un morceau magique à sa façon, c'est Kiss Kiss Kill. Il date de Nutcase, a été réinventé par Micropoint, et j'ai continué à le jouer jusqu'à aujourd'hui, que ce soit avec Micropoint, Loki Lonestar, Tricksterland... Ça vient de Radium, à qui j'avais fait écouter plein de mes morceaux, et il a dit "c'est celui-là". Il l'a remixé et aujourd'hui tu peux aimer la première ou la deuxième version. C'est assez rare dans une discographie d'avoir un morceau comme ça, avec plusieurs vies.

Quels sont tes meilleurs souvenirs en tant qu'artiste ?
Je n'en ai pas un en particulier, j'en ai plein. Je dirais même que le but de faire une carrière de musicien et de faire de la scène, en tout cas pour moi, c'est justement de créer sans cesse des souvenirs. J'ai pas mal tourné tout seul et je trouve que ça n'a jamais trop de sens, sauf si on aime se regarder et se dire "wouah, j'ai réussi à faire tel ou tel truc", un peu à la manière d'un sportif. Quand on choisit cette vie, dans le fond, c'est qu'on a besoin d'un public, de faire de la scène. Alors je comprends que quand tu fais un super solo en jazz tout seul sur scène, ça ait du sens, mais moi ce qui me plait c'est la corrélation. C'est quand on est tous ensemble, que le public est là et chante, quand on peut partager ces moments, qu'il y a comme une espèce de conscience collective. C'est là que c'est magique, ce sont les moments les plus forts.

Évidemment, on est maintenant obligés de te demander si tu as un pire souvenir....
Il y en a plusieurs, là aussi. Mais en même temps, j'ai la capacité de contrecarrer l'esprit humain qui en général essaye de toujours te rappeler les pires moments. On se souvient des bons moments, mais les pires s'impriment vraiment. J'arrive à tordre ça, c'est à dire que j'efface ces pires moments au profit d'autres choses, je m'en fous finalement. Ce qui va me sembler horrible sur le moment, j'essaye de le sublimer pour en apprendre quelque chose. Enfin, il y a quand même la fois où je me suis fait lécher le cul par un mec dans le public.

Quoi ?
Je l'ai ressenti un peu comme un viol. On est sur scène, devant plein de gens à la Machine du Moulin Rouge, dont la scène est assez haute. J'avais un micro filaire à l'époque et il y a un mec dans la fosse au premier rang qui est complètement perché et qui n'arrête pas de tirer sur le fil du micro pour m'amener à lui. Alors moi je l'empêche à chaque fois... A un moment, j'arrive devant lui et j'avoue que je me suis dit que j'avais juste à tendre le pied pour lui mettre un coup de New Rock dans la gueule, mais je ne le fais pas parce que c'est pas cool. Donc je le repousse un petit peu. Lui, il ne comprend pas, il revient. Je le repousse à nouveau tout en chantant. Et à ce moment là, comme j'étais en jupe, je me retourne et je la soulève pour lui montrer mon cul. Et là, j'ai senti sa langue. C'était hallucinant. Je ne peux pas dire que j'ai été traumatisé plus que ça mais par contre les deux DJs avec qui je bossais l'ont mal vécu. Pendant un an, l'un des deux m'a fait la gueule parce qu'il croyait que c'était fait exprès. Il me reprochait d'être venu sur scène avec eux et de m'être fait lécher le cul pour faire le show. Voilà, ça c'est un exemple de moment où ça ne se passe vraiment pas bien et que ça part en vrille. Ça fait malheureusement aussi partie du côté humain et l'important reste de trouver le moyen de rebondir à chaque fois.

Revenons à ce que tu disais en début d'interview : tu parlais de mourir pour mieux renaître. Qu'est ce qui pourrait t'amener à revenir à des projets persos, avec tes textes ? Y penses-tu ?
Oui, j'y pense, bien sûr. Mais si je dis mettre une fin à une chose, je ne peux pas non plus continuer à y penser. Là, j'ai décidé de mettre un point final à Loki Lonestar pour arrêter aussi la confusion entre mes différentes projets mais peut-être que Loki fera encore des featurings dans le futur. Loki sera un invité, pas un groupe. Moi, ce qui me plairait, ça serait de revenir un jour à une forme de groupe. J'ai des chansons. J'ai commencé un album il y a cinq ans, qui est encore à l'étape de démos, mais je ne vois pas l'intérêt de le sortir aujourd'hui comme une curiosité s'il n'y a pas de curiosité à mon égard. Si demain il y a un label et des gens qui ont envie de l'écouter, on verra... Mais ce truc, même s'il date de cinq ans, je le réécoute régulièrement et continue de le trouver actuel. Je pense avoir un prototype d'album qui est chouette et qui demande encore un peu de boulot. Mais je ne veux plus me battre contre des moulins à vent. Faire quelque chose qui n'intéresse pas les gens n'a pas de sens. Je crois en ce que je fais, je crois en les gens avec qui je le fais, seulement parfois, moi aussi j'ai besoin qu'on croit en moi.

Pour conclure, veux-tu ajouter quelque chose ?
Oui, pour clôturer j'aimerais vraiment beaucoup remercier sincèrement toutes les personnes avec qui j'ai travaillé ces dernières années, que ce soit dans Loki Lonestar, dans Tricksterland, toutes ces personnes qui ont traversé les années avec moi. Je veux les remercier pour leur temps, leur générosité, leur curiosité... et je leur souhaite le meilleur.