Le troisième jour du WGT fut aussi le plus délicat en termes de compromis. Il y avait une pelletée de très bons groupes à voir, et il a fallu faire des choix. Il y avait Klangstabil à Täubchenthal, Sturm Café à la Haus Leipzig, Janus dans la magnifique Peterskirche, ou encore Kalandra au Heidnisches Dorf. On a bien envisagé l'option de se mettre en boule dans un coin toute la journée pour ne pas avoir à choisir. Mais finalement, voici comment s'est déroulée cette journée.
Bleib Modern
On s'est dirigé vers le Volkspalast pour voir Bleib Modern, sensation post-punk de ces dix dernières années en Allemagne. Et à peine arrivés, on regrette déjà. Il semble qu'on ne soit pas les seuls à avoir eu la même idée. Les fans s'alignent sur plus d'une centaine de mètres sous la pluie pour peut-être avoir la chance d'entrer... ou non. Plutôt non en l'occurrence, car à l'intérieur, c'est le même cirque. Ceux qui ont la chance d'entrer dans l'enceinte principale se font refouler à l'entrée de la Kantine, la petite salle du Volkspalast, où jouent les Berlinois.
Sans intention de froisser quiconque, Bleib Modern, c'est le groupe à minettes. Cinq jeunes hommes plutôt bien bâtis, au regard ténébreux, l'esprit torturé... L'âge moyen du public a chuté drastiquement durant ce concert, et le profil des spectateurs est beaucoup plus éclectique qu'ailleurs au WGT. Certains ont payé leur billet de festival que pour eux. Et personne n'est prêt à bouger d'un centimètre dans une Kantine pleine à craquer. Autant dire que ce n'était pas la bonne occasion pour nous de découvrir le groupe en live. Vous nous pardonnerez, mais on a pas tenu longtemps dans cette boîte à sardines. On retentera une prochaine fois dans de meilleures conditions.
Drab Majesty
À l'Agra, on respire mieux. Mais qu'est-ce qui leur a pris de programmer Drab Majesty, duo de coldwave américain, reconnu mais encore loin d'une tête d'affiche de la plus grande salle du WGT, sur cette immense scène qu'est l'Agra ? La salle est évidemment à moitié vide et on retrouve peu de fans, surtout des curieux. On voit mal comment le groupe, qui joue sur une imagerie sombre et un tempo lent, et qui ne bouge pratiquement pas sur scène, peut convaincre le public maintenant bien rincé des deux jours précédents. A priori donc, on est plutôt contre. Mais en fait, on a plutôt envie de dire : enfin !! Enfin un vrai groupe de gothiques dépressifs joue sur la scène principale d'un festival de gothiques dépressifs. La programmation du jour est complètement décousue : du metal symphonique avec Xandria juste avant, et des groupes mythiques comme Silke Bischoff et Public
Image Limited ensuite. Globalement, l'Agra permet de rassembler tous les publics avec des genres dansants, de l'aggrotech, du metal, ou des sons plus pop comme Kite. Drab Majesty fait office d'ovni dans ce paysage. Mais voilà, ça c'est mon WGT. Il est 18h, il fait 30 degrés, on est en juin, dans un hangar énorme, vous avez envie de faire la fête ? Ben fallait pas venir à un festival goth les amis. Oubliez l'once de positivité qui brillait encore frêlement en vous. Venez déprimer en faisant du sur-place sur Drab Majesty. Vous vous souvenez de Nitzer Ebb en mainstage au Hellfest ? Voilà, ça vous donne une idée du tableau d'entrée.
En plus de ça, les lumières sont un régal. Voir le duo dans ces conditions est une vraie chance. Le claviériste, qui joue le personnage de Mona D., réussit à donner un peu de mouvement pour contrebalancer l'inexpression permanente du visage de Deb Demure. C'en est presque jouissif. La setlist est un pur concentré du groupe, qui enchaîne les titres sans s'adresser au public. Tout ce qu'on aime. Dommage que ce set ne soit qu'une pause dans la chahut global de l'Agra. Si l'on pouvait commander une journée entière de ce genre de concerts normalement relégués à Moritzbastei ou à la Stadtbad, on le ferait sans hésiter.
Light Asylum
Alors le voilà. Le dilemme de la journée. Il y avait la possibilité de se rendre à Täubchenthal applaudir Klangstabil, qu'on adore et dont les sets live sont à tomber. Mais on ne peut pas cacher qu'on est très fans de Linea Aspera, genre vraiment très fans. Et qu'on a réussi à les rater à chaque fois depuis leur reformation. De plus, juste avant, à la Stadtbad, il y a Light Asylum. Alors on a fait un choix qu'on aurait aimé ne jamais avoir à faire. Mais on ne le regrette pas. Light Asylum a beau être un projet solo, sans instrument sur scène, et qui n'a rien sorti depuis plus d'une décennie, on l'aurait presque plus envisagé pour l'Agra que Drab Majesty. Car même s'il vous semble ne pas connaître Light Asylum, Light Asylum vous connaît. Shannon Funchess a bercé vos soirées goths un peu partout sur la planète, grâce à son hit Dark Allies. Ses rythmes dansants et son atmosphère lugubre convergent vers une musique post-apocalyptique, à l'avant-garde de la synthwave.
Le show de Light Asylum est très controversé. Beaucoup ne comprennent pas l'intérêt d'aller voir une femme seule sur scène qui tourne un potard. Certes. On ne vous fera donc pas l'affront de vous révéler qui parmi vos groupes préférés n'allument même pas leur synthés ou chantent en complet playback. Light Asylum ne fait pas semblant de jouer live, en revanche elle ne feint pas son enthousiasme sur scène. Et sa voix... allez m'en trouver une autre pareille dans toute la scène goth. Shannon n'a besoin de personne pour personifier, interpréter, représenter sa musique. Elle offre un spectacle original, minimaliste, sincère, et d'une puissance incomparable. Sa setlist est truffée de pépites comme Skull Fuct. La Stadtbad est remplie et le public suit Shannon dans sa transe interminable. Voilà l'illustration d'un vrai concert. Au micro, Shannon remercie les peuples de se tenir ensemble dans cette danse, revendique les droits des minorités d'être fières, célèbre cette communion si particulière. Le set se termine dans un orgasme libérateur avec Dark Allies, forcément. Et des applaudissements à tout rompre.
Linea Aspera
C'est l'heure. L'heure du verdict pour ce dépucelage d'un de mes groupes préférés. Alison, on l'a croisée pas mal de fois avec Zanias, avec Keluar, reprenant presque toujours certains morceaux de Linea Aspera. Mais nous n'avons jamais vu le duo d'origine. Et on nous a prévenus : Alison a beau avoir le charisme d'une sorcière Kalku en plein rite, elle n'arrive pas à sauver l'immobilité de son comparse Ryan Ambridge, fixé derrière sa table de mixage comme à la proue d'un bateau en perdition.
À vrai dire, sur les premiers morceaux, on ne peut pas vraiment en juger. Il n'y a que des backlights et beaucoup de fumigènes. Une mise en scène typique de la Stadtbad. On ne voit rien, alors écoutons. La machine met un petit temps à démarrer. Après l'orgie Light Asylum, la noirceur de Linea Aspera met du temps à opérer. Mais au fur et à mesure du set, on embarque enfin dans leur univers. Les lumières finissent également par éclairer la scène, et Alison emporte tout sur son passage. Bavarde entre les titres, elle nous signifie qu'eux aussi n'auront pas droit à un rappel car il est déjà tard, mais qu'ils peuvent jouer jusqu'à minuit et vont nous faire un set extensif avec quelques surprises. Et on se délecte notamment de pouvoir entendre Vultures.
Fidèle à son engagement, qui lui vaudra plus tard d'annuler sa venue à l'Amphi Festival, Alison évoque la situation humanitaire catastrophique en cours à Gaza et appelle le public à donner autant de voix pour ramener la paix que lors de ses concerts. Elle insiste sur l'importance de la scène alternative, qui l'a, qui nous a tous un jour sauvés, et nous encourage à donner de nous-mêmes aujourd'hui pour sauver les autres.