Vous êtes "The Burnt One", mystérieuse carcasse muette et brulée ramenée à la vie, et vous allez devoir arpenter la Voie de Minuit pour accompagner un petit personnage nommé PotBoy, porteur d'une étincelle, au sommet du Mont Lune pour ramener le soleil à un univers plongé dans les ténèbres....
Pour certains, l'univers de The Midnight Walk peut sembler cauchemardesque. Pour nous, et on est prêts à parier que pour vous également, amateurs de choses sombres et étranges, s'y plonger est un émerveillement constant, aussi familier que confortable. Les créateurs de ce jeu emploient d'ailleurs le terme de "cozy horror", de l'horreur dans laquelle on se sent bien, réconfortante à sa manière. Face à un film de Henry Selick (Coraline, L'Etrange Noël de Mr Jack), ou n'importe quel univers Burtonien, vous êtes-vous déjà dits "c'est ici que je veux vivre pour toujours" ? Alors The Midnight Walk est fait pour vous.
Développé par le tout jeune studio MoonHood et des artistes ayant précédemment travaillé sur Lost In Random, The Midnight Walk en reprend aussi bien la merveilleuse direction artistique gothique que la superbe animation en stop-motion, avec ses saccades et ses imperfections. On est tout de suite pleinement immergé dans cet univers où tout semble tangible et où l'on nous invite parfois à fermer les yeux pour écouter les sons de l'obscurité (jouable sur écran traditionnel, on imagine que l'immersion en VR doit être totale). On craque une allumette, on enflamme une bougie pour mieux y voir et l'on rencontre alors les différents personnages qui hantent cette Voie de Minuit.
The Midnight Walk n'a besoin que d'une poignée de minutes pour nous convaincre. Son univers fou, mélancolique et parfois réellement lugubre emprunte à de nombreuses influences qui, forcément, nous parlent : on pense pêle-mêle aux Boxtrolls du studio Laïka, aux délires surréalistes du Mad God de Phil Tippett, à la noirceur teintée d'humour du fantastique dessin animé Over the Garden Wall mais également à quelques rêveries à la David Lynch. En terme de gameplay, The Midnight Walk est une expérience simple parsemée de quelques énigmes ou phases d'infiltration minimalistes. En soit, il se rapproche d'un poème comme Journey, une expérience courte qui se vit plus qu'elle ne met à l'épreuve vos réflexes manette en main. On pense également aux créations de Fumito Ueda (Shadow of the Colossus) et en particulier The Last Guardian pour le lien qui se crée entre le personnage que l'on incarne et la créature qui l'accompagne, la mélancolie du monde dévasté que l'on parcourt mais aussi la richesse thématique qui se ressent derrière un apparent minimalisme narratif. Enfin, dans ce personnage mutin brûlé et cette histoire que l'on devine entre phrases cryptiques, il n'est pas interdit d'y voir planer l'ombre de Dark Souls et Elden Ring : si la comparaison s'arrête là, The Midnight Walk partage avec ces monuments de la dark fantasy un goût pour les mystères chuchotés au coin d'un feu que l'on allume.
Alors que l'on traverse des villes faites de vieilles chaussures délassées, de piles de livres et de boites en carton, tout en admirant en route quelques films muets, nous faisons la connaissances des habitants de cette Voie de Minuit, le joueur étant invité à découvrir une poignée de petites histoires avant d'atteindre son objectif ultime. Ces histoires sont à la fois cruelles et ironiques... Pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte, nous ne mentionnerons que la première ville que l'on croise, habitée par les "Nobodies" : un village de têtes tranchées qui détestent les "carcasses" et trouvent tous vos membres vulgaires (vous apprécierez le jeu de mot entre "nobody", personne, et "no-body", pas de corps) ! Amusant, n'est-ce pas ? On apprend que suite à une guerre, les Somebodies ("quelqu'un" ou "quelques corps") ont décidé de tous se décapiter : sans corps, pas de meurtres ! Saluons d'ailleurs le doublage (anglais) excellent et une écriture pleine de rimes et de jeux de mots (les augures sont ici les "sootsayers", dérivé du mot "sightseers", les "oracles", mais en remplaçant la notion de vue (sight) par la suie (soot)).
Suivi par une maison sur jambe empruntée à la Baba Yaga dans laquelle on peut se reposer et passer en revue les collectibles trouvés en route (dont des bobines de films à retrouver pour recomposer une histoire à se projeter chez soi), on admire les quelques 700 modèles en argile fabriqués pour le jeu. Et puis, très vite, au-delà de la poésie parfois absurde ou lugubre, et d'histoires pleines de culpabilité, se dessinent les contours d'un discours méta. Cette flamme que l'on transporte avec nous peut aussi bien être l'espoir que la flamme de l'inspiration des auteurs du jeu, qui expliquent s'être lancés dans la création du jeu après un burnout : un bon moyen de raviver leur passion ! The Midnight Walk est alors rempli de discours sur les créateurs qui abandonnent leurs œuvres, sur les ténèbres que chacun doit affronter et cette étincelle à trouver dans cette "Voie de Minuit" que l'on arpente tous.
D'une profondeur émotionnelle insoupçonnée dans sa simplicité, absolument superbe plastiquement, d'une inventivité constante, riche d'un bestiaire d'autant plus appréciable qu'il semble "exister pour de vrai" (quelque part, le modèle des terrifiants Rictus existe !) bourré d'humour, de poésie et riche en thématiques intimes insufflées par ses auteurs, The Midnight Walk est une œuvre poétique unique dont on ne voudrait jamais s'extirper. Souhaitons alors au studio MoonHood un joli succès qui leur permettrait de continuer à développer d'autres œuvres aussi atypiques, fortes non seulement d'une sensibilité unique mais également d'une direction artistique superbe. En mettant la création au cœur de son œuvre, que ce soit sur le fond ou la forme, MoonHood y insuffle une âme rare, le joueur ne pouvant rester insensible au soin et au travail dont a bénéficié cet univers. Nous, on veut bien se perdre encore un peu sur cette Voie de Minuit.