Chronique | Elevn - Digital Empire

Pierre Sopor 24 mai 2017

ELEVN est un projet synthwave tout frais, tout neuf fondé en septembre 2016 par Matthieu Roszak (ex-HOLLOW CORP) et Jérome Hantise (HANTISE). Comme le veut la tradition du genre, leur univers est fortement influencé par les années 80, époque idéalisée et fantasmée néanmoins coupable de l'italo disco et du Juste Prix. Heureusement, le duo en retient l'essentiel : les péloches d'horreur et de SF qui inondaient les vidéo clubs. Jusque là, rien de nouveau dans le petit monde de la synthwave, genre à l'explosion récente et pourtant déjà vieux tant les clones de PERTURBATOR et CARPENTER BRUT prolifèrent sans pour autant apporter du neuf. Après quelques titres révélés sur le net (dont un mémorable remix de The Fog de John Carpenter), le duo sort enfin son premier album.

Il suffit de quelques secondes à ELEVN pour titiller l'intéret : dès Seven Trumpets et sa saloperie de gamin glauque qu'on imagine facilement sortir de Phenomena du grand Dario fredonnant sa mélodie flippante de manière répétitive, accompagné de quelques notes cristallines et lugubres. Rapidement, des guitares s'ajoutent à l'ensemble, apportant menace et lourdeur et évoquant les travaux les plus heavy de GOBLIN croisé avec KORN. Ces cordes, grasses et puissantes, sont un vrai plus pour ELEVN, ce que confirme le titre Digital Empire. En invitant le chanteur de ME AND MY SHADOW, la piste commence de façon assez pop, comme un gros hit retro addictif. L'alchimie entre voix et instru a un petit coté INFECTED MUSHROOM, avant qu'une guitare massive ne vienne apporter de la saleté et du gras dans la dernière partie. Encore une fois l'ombre de KORN vient planer sur l'ensemble, et c'est tant mieux. ELEVN maîtrise ses ambiances, convoquant quand il le faut cordes et voix (via plusieurs guests de qualité, et apportant toujours quelque chose de pertinent) pour apporter à l'album variété et épaisseur.

Attention cependant, les aspirations plus metal ne prennent pas non plus le pas sur les synthés, comme on peut trouver dans le travail plus agressif de THE ALGORITHM par exemple. En terme d'efficacité et de frénésie, ELEVN n'a cependant rien à envier à personne. Des titres comme Golem 13 ou Death Commando devraient faire trémousser vos popotins au point de les rendre épileptiques, alors que des morceaux plus ambiants comme Only Flesh ou Digital Asylum flirtent avec des délires witch house parfaits pour faire la bringue entre deux pierres tombales, ou déprimer sous la pluie (selon vos préférences). La force d'ELEVN, en plus de son efficacité de chaque instant, réside dans les moments fréquents ou ils cassent les codes et nous surprennent, explorant de nouveaux terrains. La jouissive Rise of the Leviathan avec ses aspirations hip-hop et le flow de STATIK G qui virent au neo-metal en est un parfait exemple, From Beyond (coucou Stuart Gordon) et sa grosse basse à la Fieldy en est un autre.

Digital Empire est un album qui fait du bien. S'inscrivant dans un mouvement dans lequel déjà beaucoup de suiveurs ont tendance à patauger en se singeant les autres, ELEVN propose une alchimie innovante en mélangeant plusieurs influences. L'univers est là, rétro-futuriste et coloré, les rythmes accrochent, les mélodies restent en tête et le duo assume des choix osés, surprenants et agréables, s'orientant régulièrement vers des sonorités plus lourdes, régressives, addictives et fun. Alors que progressivement, la musique meurt sur Gates of Hell, on a déjà envie d'y revenir. Tout au long des onz titres qui composent l'album (ils auraient pu en faire douz ou treiz, mais pas avec un nom pareil), ELEVN propose une musique catchy et imprégnée d'une forte identité, rappelant aux chauvins que nous sommes que c'est décidément en France qu'on rend le mieux hommage en musique aux séries B américaines des 80's.