Witch Club Satan + Grandma's Ashes @ Petit Bain - Paris (75) - 3 octobre 2025

Live Report | Witch Club Satan + Grandma's Ashes @ Petit Bain - Paris (75) - 3 octobre 2025

Pierre Sopor 6 octobre 2025

Il y a des soirées plus spéciales que d'autres. On se doutait en allant voir Witch Club Satan à Petit Bain que ça ne serait pas un concert comme un autre : les trois Norvégiennes n'ont déchaîné leur black metal furieux et engagé que depuis 2022 mais sont déjà "le truc à voir", aussi bien pour leur approche féministe et politisée du genre que leurs performances live intenses et théâtrales. En plus, en première partie, la salle dit qu'il y a Bruxism et que c'est "un petit peu gothique". Bruxism, ça nous dit vaguement un truc, mais impossible de les trouver sur internet, rien, ça doit être un jeune groupe. De toute façon, l'événement facebook de la soirée a mystérieusement disparu à l'approche du concert, que la salle précise "interdit aux mineurs". On s'en fout, y'a pas de charbon à Petit Bain, la péniche ne tourne pas à la vapeur.

Bref. On arrive. Il pleut, mais c'est pas vraiment ça la douche froide : un message à l'entrée précise qu'à la demande du groupe, absolument aucune photo de la soirée n'est autorisée. Niet. Nada. On n'a jamais vu ça à Petit Bain. Le mec de la sécu, un type aussi costaud que sympa, semble tout aussi surpris, l'info vient de tomber. Du coup, on ne va pas pouvoir vous raconter ça avec des photos, il va falloir lire, désolé. 

La soirée commence par le traditionnel tour au stand de merch : Witch Club Satan propose tout un tas de tee-shirt, dont un très chouette motif d'utérus black-metalisé. Pourvu que des gens l'aient acheté sans savoir ce que c'est. Et puis, après tout, les organes, c'est metal ! Du côté de Bruxism, un papier précise "merch Bruxism", mais y'a rien pour le moment. C'est des p'tits jeunes inconnus, ils ont dû arriver à trottinettes en retard et n'ont pas eu le temps.

BRUXISM (OU PAS...)

Et puis Bruxism va commencer. Les trois filles montent sur scène. Un copain remarque "la bassiste ressemble à la bassiste de Grandma's Ashes". On lui répond que la batteuse et la guitariste de Bruxism ressemblent aussi vachement à la batteuse et à la guitariste de Grandma's Ashes, le trio rock alternatif / grunge qui jouera en tête d'affiche à à l'Elysée Montmartre (une salle deux fois plus grande) en mars prochain et sortira bientôt un album du nom de... Bruxism. Alors ça, pour une surprise ! "On s'appelle Grandma's Ashes" annonce la bassiste / chanteuse Eva Hägen après le premier morceau. Hey, on l'avait dit en premier ! 

Joli coup de communication de la part du trio à la popularité qui explose, se greffer comme ça sans aucune annonce en première partie d'un groupe de black metal. Le public est chaud, on ne sait pas s'ils se disent que Bruxism c'est trop bien ou s'ils ont compris l'entourloupe. Au merch, les tee-shirts et compagnie apparaissent enfin, on peut vendre la mèche (mais aussi des tee-shirts, hein).

C'est donc la première date de la tournée qui accompagnera la sortie de Bruxism (l'album, pas le groupe, puisque finalement le groupe n'existe pas - enfin, si, mais il vient du Royaume-Uni et n'est pas venu ce soir, justement, faut suivre). Grandma's Ashes présente certains titres pour la première fois au public. Pour leur second album, on sent une envie de se renouveler, ça part dans plein de directions très plaisantes : des influences un petit peu gothiques, en effet, que l'on avait déjà devinées avec le single Cold Sun Again mais aussi des parties plus lourdes avec du chant saturées... et d'autres avec du vocodeur. Leur créativité, leur énergie et leur envie d'explorer toutes ces pistes sont rafraichissantes, on apprécie tout particulièrement de ne pas savoir comment un morceau va évoluer tant le trio joue avec les codes et n'obéit servilement à aucun. Parfois on doute un peu mais on finit plutôt conquis : il faudra réécouter tout ça en studio mais c'est fait avec les tripes !

En revanche, il va falloir nous expliquer comment ça se fait qu'à Petit Bain, où les lumières sont généralement compliquées et beaucoup de concerts se jouent dans la pénombre et la fumée, c'est pile-poil le soir où les photos sont interdites que le show est super beau, entre le rideau rouge derrière la batterie qui dessine un cadre flamboyant et les mélanges de couleurs, non seulement on y voyait quelque chose mais on en a même pris plein les mirettes. Bon, du coup, pas de photo, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a pour illustrer ça. Si vous n'avez pas la ref, voyez donc le Big Lebowski, ce sera du temps perdu plus judicieusement qu'en nous lisant !

WITCH CLUB SATAN

Elles sont là ! Elles arrivent ! Elles ont les mêmes chapeaux de sorcières mi-croissant, mi-bretzel que dans le très beau clip de You Wildflower ! Elles sont trois, comme les Nornes, comme les Parques, comme les Moires, comme les Érinyes, comme les sœurs Sanderson dans Hocus Pocus, comme les sœurs Halliwell dans Charmed, comme Kælan Mikla, comme Grandma's Ashes, même ! Trinité féminisée, la mère, la fille, la saine d'esprit ou la Haine, la Vengeance et l'Implacable ! Ambiance de rituel, les ténèbres... et l'accouchement. Witch Club Satan attaque avec Birth, un morceau aussi lourd qu'agressif qui prend en ce moment un autre sens : la bassiste et chanteuse Victoria Røising est enceinte, ça se voit. Mais ce n'est pas tout : plus tard, le trio WCS confesse qu'elles sont en fait cinq sur scène : Victoria attend des jumeaux ! Elle a deux fœtus dedans son ventre, ça c'est super metal ! En revanche, on passera sur l'interdiction aux mineurs hein, y'en a carrément deux planqués sur scène !

Elles grimacent, elles crient toutes leurs tripes, ça envoie, mais pas que. Le set est divisé en différentes parties, impliquant changements de costumes et transitions atmosphériques pendant lesquelles les trois sorcières nous offrent des respirations (Mother Sea) ou des textes récités avec des voix d'Evil Dead. C'est à la fois furieux et très cool. Les robes tombent, elles reviennent à poil, un peu planquée par des perruques qui leur font des tignasses impressionnantes. On se croirait en plein film de folk horror, ça en jette. Leur black metal ne fait pas dans les fioritures, il y a une énergie punk qui explose là-dedans (la zinzin Fresh Blood, Fresh Pussy), une viscéralité sauvage à la fois intimidante et jouissive. Elles crient et saignent pour les sorcières qui ont été brulées, pour celles dans l'audience, pour toutes celles qui se font persécuter pour rien.

Plus tard, Witch Club Satan réclame le silence avec quelques murmures. Petit Bain se tait, captivé. SILENCE IS A CRIME hurlent-elles soudainement, accusatrices, avant de dénoncer ce que l'ONU et Amnesty International comparent de plus en plus formellement à un génocide à Gaza. Sous les acclamations chaleureuses du public, Black Metal is Krig détourne la formule rendue célèbre par Nargaroth pour déclarer "la guerre à la guerre". Une sorcière nue, enceinte, avec son corpse paint sur le visage, jouant du black metal devant un drapeau palestinien : voilà une image aussi forte que singulière !

Witch Club Satan hurle ses convictions féministes, anti-racistes, écolos. Dans un genre qui cultive souvent une ambiguïté politique aux relents parfois nauséabonds, elles n'ont pas la lâcheté de se planquer derrière des références à Tolkien et des symboles païens néo-fascistes en prétendant être "apolitiques" pour qu'on leur foute la paix. Elles n'ont pas la paresse ou la frilosité de ne pas oser s'exprimer par peur de se mettre à dos une partie du public : pour elles, c'est une question vitale. Ce dont Witch Club Satan parle, ce n'est pas de dragons, de diable romantisé recyclé une énième fois pour l'imagerie, ou d'armée d'orcs. Witch Club Satan étale ses tripes (on l'a dit plus haut, les organes c'est metal !), ses peurs, ses rages et leur black metal déborde d'une urgence aussi rare que rafraichissante. Ce qui pousse WCS, c'est la nécessité de vivre, d'exister et leur art s'enrobe de tout un théâtre spectaculaire qui ajoute non seulement de la puissance au propos mais aussi une touche de fun.

Si l'on regrette parfois qu'en seulement une heure de concert, les pauses imposées par les changements de costume cassent un peu le rythme tout en donnant une impression que cette folie est parfois bien millimétrée, on comprend aussi que semer le chaos en ayant deux bébés dans son ventre nécessite quelques concessions ! En fin de concert, le récent hymne You, Wildflower, plus lent, résonne avec puissance. Elles escaladent les retours, leurs silhouettes dominent alors la fosse, immenses. Rite de résilience, elles mettent bien en évidence comment "dictator" commence par "dick". Puis, on a droit à une parenthèse techno / indus, Witchcraft Techno, pendant laquelle elles prennent leur (petit) bain de foule : deux des sorcières sont portées par le public, elles hurlent, ça tabasse et rappelle leur incroyable collaboration avec John Cxnnor à découvrir de toute urgence.

On a parfois eu l'impression que le show gagnerait à durer un peu plus longtemps afin de réussir à nous maintenir dans cette tempête de folie entre deux changements de tableau, mais on a bien conscience d'avoir assisté à un événement assez particulier. Quand Witch Club Satan déchaîne sa violence et hurle ses tourments, ce n'est pas pour frimer ou nous faire peur mais pour nous inviter à hurler avec elles dans une démarche collective, inclusive et cathartique salvatrice... et leur musique tabasse avec une authenticité et une puissance qui collent la fessée !

Pas de photo, donc (enfin, si l'on omet ce paradoxe habituel : il y a en fait les dizaines de lumières de smartphone qui scintillent dans la salle pour enregistrer un petit bout de concert). On espère tout de même que Witch Club Satan documente généreusement ces instants si particuliers dans leur vie de groupe, ça fera des drôles de souvenirs pour les bébés à venir ! Du coup, bon, bah on vous laisse avec un dessin gribouillé qui représente avec une fidélité absolue cette drôle de soirée ou deux trios de sorcières nous ont offerts des shows sincères et surprenants devant un public venu en masse. Comme disait l'autre, pour la prochaine fois, "il nous faudrait un plus gros bateau" !

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Pierre Sopor

Rédacteur / Photographe