Heartlay cultive les paradoxes. Le groupe de metal industriel parisien est étrangement rare sur scène à la capitale, ayant plutôt écumé le Royaume-Uni l'an dernier aux côtés de DRØWND et réussit à exporter sa musique hors de nos frontières... sans avoir pour l'instant pu vraiment imposer sa présence en France. De plus, en ayant incorporé à sa musique de grosses doses d'influences metalcore, Heartlay ne semble pas vraiment associé à la scène industrielle... la preuve avec les premières parties de la soirée, Sailing for Tomorrow et Lies We Sold, qui ont pour mission de chauffer le Backstage by the Mill avec leur metalcore méchant qui ne lambine pas et auquel nous ne connaissons absolument rien ! La sono de la salle, elle, a choisi son camp et enchaine les morceaux de Ministry, Skinny Puppy et Nine Inch Nails... on est comme à la maison.
SAILING FOR TOMORROW
Découvrir ce que des artistes ont à proposer en étant absolument étranger à leur univers, c'est toujours "ça passe ou ça casse". On s'accroche alors à ce qu'on peut pour trouver notre porte d'entrée vers leur univers... On commence par choisir notre préféré : le batteur, avec sa moustache affolante, ou le bassiste et son gros toutou tatoué sur le bras ? Pendant que le débat fait rage dans la fosse, Sailing for Tomorrow attaque fort, associant la violence de son metalcore à des respirations mélodiques. L'alternance entre la voix claire d’Élodie, qui a récemment rejoint le groupe, et le chant saturé de Manu ne réinvente pas l'eau sur laquelle voguer mais permet à la musique de prendre un relief bienvenue. On apprécie aussi la petite cape que porte le chanteur en début de concert : côté gimmicks marins, on n'est pas encore au niveau de détails de Houle ou Skaphos, mais ça apporte toujours un petit plus de présence ! On est surtout séduits par l'énergie des musiciens. Ils se donnent sans compter, et tant pis s'il est encore tôt, que la salle n'est pas pleine, que le public n'est pas forcément à l'aise : on se marre bien sur scène, on grimace, on échange, on passe un bon moment et on profite à fond. C'est toujours rafraichissant de voir des musiciens faire leur truc avec enthousiasme, en y croyant, et en se fichant totalement de ne pas jouer face à la plus grande foule du siècle. Ils ont fait le job, dégagé de bonnes ondes... Et la musique ? Heuuu, vu qu'on n'y connaît rien, on n'y a rien compris, mais on peut vous dire que parfois ça groovait quand même bien, que leur capital sympathie suffit à passer un bon moment... mais aussi que le son ne rendait pas vraiment justice aux subtilités plus atmosphériques de leurs compositions qui, avec leurs chœurs et transitions cinématographiques, prennent en studio une dimension narrative plus marquée.
LIES WE SOLD
Moins rigolard dans son jeu de scène et sans voix féminine, Lies We Sold continue d'attaquer le Backstage avec des armes similaires : beaucoup d'envie, de la bonne humeur à partager et un metalcore qui ne lésine pas sur les mélodies. Le chanteur Anthony prend les choses en main et multiplie les efforts pour secouer un public un peu perdu. Les codes du genre sont respectés, des refrains en voix claire aux rythmiques sans pitié en passant par les influences neo-metal remises au goût du jour... Lies We Sold fait dans l'efficacité mais, hélas, souffre ce soir du même handicap que Sailing for Tomorrow : on a du mal à entendre tout ce qui fait la particularité du groupe en studio, surtout ses touches électroniques. Mince alors, c'est d'autant plus dommage que leur production est sacrément chiadée et aérée et n'a pas à rougir face aux grands du genre en France. Si l'on perd par conséquent un peu en âme, il faut alors se rabattre sur le corps, les nerfs, les muscles et l'ossature. En l’occurrence, Lies We Sold ne manque de rien de tout ça, même s'ils ont un membre en moins ce soir : ça transpire, ça castagne. On devine qu'une audience plus familière aurait exprimé son intérêt avec moins de politesse et plus de turbulences, mais les gens attendent assez manifestement la tête d'affiche et se contentent d'applaudir sagement. C'est déjà ça, mais on en ressort persuadés que Lies We Sold méritait un contexte plus à son avantage, parce qu'il y a là-dedans des explosions qui ne demandent qu'à tout démolir.
HEARTLAY
Depuis ses premiers pas, Heartlay a sacrément grandi. Ceux qui les ont connus à l'époque de leurs premiers concerts se souviennent de ce groupe timide qui semblait encore chercher son identité entre diverses influences, du rock alternatif des années 90 au metal industriel. Heartlay est désormais un trio gravitant autour de sa tête pensante et âme en peine Aaron Sadrin. Ils ont travaillé leur look et font preuve d'une belle assurance sur scène au moment de l'investir avec hargne. Avec leurs peintures et leurs dégaines plus affirmées, les Parisiens ont gagné en présence et en charisme... Une mutation qui se ressent aussi dans une musique qui, au fil des ans, s'est musclée en incorporant notamment ces fameuses influences metalcore.
Si l'on pouvait trouver à une époque que Heartlay avait sacrifié un peu de son identité au profit de l'efficacité, force est de constater que le groupe a trouvé son équilibre entre rouleaux compresseurs (A Thousand Debris, qui ouvre le concert) et envolées plus intimistes (les doutes de Broken Seams, le chant clair très 90's de We Are All Awake). Il y a un peu de Combichrist, un peu d'Orgy, un sens pour la rengaine qui se loge en tête et les atmosphères plombées qui modernisent les mélanges neo-metal / indus du début des années 2000, leur donnant une teinte plus noire. En live, on est frappés par la puissance qu'apporte la batterie, industrielle et glaciale même si l'on regrette cependant que le chant sonne un peu en retrait ce soir. Aaron Sadrin occupe en revanche bien l'espace, tantôt gargouille grimaçante, tantôt écorché vif, incarnant les tourments de sa musique avec une authenticité viscérale touchante.
Heartlay n'est pas là pour rigoler, ni spécialement faire danser. Leur musique se veut cathartique et tient plus de l'exorcisme de démons personnels que de la grosse teuf cyberpunk. L'atmosphère était sombre et pourtant, enfin, le public se réveille. Bien que la salle ne soit pas pleine, l'ambiance prend et les paroles résonnent dans les premiers rangs : Heartlay a ses fans dévoués qui savourent l'instant. Si l'on attend désormais de savoir si tous les singles sortis ces derniers mois signifient qu'un nouvel album ne saurait tarder, on apprécie la singularité de Heartlay et sa proposition. Bizarrement anachronique dans sa quête de modernité et ses modèles d'il y a 25/30 ans, impossible à clairement ranger dans une scène ou une autre, à cheval entre ses envies de fédérer avec des hymnes accrocheurs bourrins et ses spectres mélancoliques, le projet d'Aaron Sadrin est décidément à part, une anomalie qui traine son spleen et poursuit son bout de chemin atypique. Les retrouvailles avec le public parisien étaient belles, Heartlay a été généreux et entier... Espérons-les revoir prochainement sur scène à Paris pour, enfin, s'affirmer plus régulièrement sur les scènes françaises !