Bleu Reine et son premier album La Saison Fantôme, c'est une histoire qui dure et nous hante depuis un moment : il y a deux ans, l'artiste en révélait déjà une bonne partie sur scène. Sorti en décembre dernier, l'album avait eu droit à une release-party en petit comité, aussi bien dans le public que sur scène. C'était au Klub, en configuration solo. Cette fois-ci, Bleu Reine pouvait enfin fêter en grande pompe ses treize fantômes avec son groupe au complet, des invités, des premières parties et un Point Éphémère bien rempli.
Championne
Pour commencer en douceur, le public parisien pouvait découvrir Championne dont c'était la première sur scène à la capitale. Mélange de rock mélancolique et de pop introspective, Championne cultive le doux-amer, le décalage entre envie de vivre et nostalgie. Sur scène, on ne distingue réellement que trois des cinq artistes noyés dans la fumée et les couleurs pastelles qui imposent leur ambiance intimiste, genre chambre d'ados un peu bordélique et pleine de posters. Championne n'existe pas depuis longtemps et venait présenter son premier EP éponyme. Le set est court, mais on se laisse bercer par cette basse ronflante aux ombres parfois post-punk qui apporte une certaine tension à un chant dont la sérénité apparente n'empêche ni un spleen discret, ni poésie ni ironie. Tout cela est chaleureux et bienveillant alors forcément, nous, on s'inquiète un peu de voir des gens heureux et apaisés. On n'a pas l'habitude mais ils ont l'air de bien le vivre !
Pencey Sloe
Les premières secousses telluriques de la soirée arrivent avec Pencey Sloe et son mélange d'humeurs et d'influences. Shoegaze, post-rock et même quelques touches de doom : on navigue entre des brumes éthérées et des riffs plus lourd, toujours enveloppé d'une épaisse fumée. Pencey Sloe aime les contrastes subtils et les nuances, on sent que tout cela pourrait exploser ou virer à des explosions noise mais le groupe se contient et maintient un climat d'introspection onirique, laissant ses ombres errer sous une lumière rassurante. Au chant, Diane Pellotieri partage ses émotions avec un auditoire attentif. Si le son est souvent feutré, Pencey Sloe fait de plus en plus de bruit, surtout depuis l'album Neglect paru en 2022 : on les retrouvera prochainement sur scène en compagnie du groupe de post-hardcore Fange ainsi que sur la scène du Hellfest où, tout de suite, on aura moins l'impression d'avoir trouvé dans un refuge déconnecté du monde.
Bleu Reine
En mauvais élèves que nous sommes, on imaginait que Pencey Sloe serait le groupe le plus "lourd" (toute proportion gardée) de la soirée. C'est qu'on ne connaissait pas Bleu Reine dans sa configuration complète : il y a Lou à la basse, Clément aux claviers, et Vincent Kreyder derière les fûts (le gars est aussi le nouveau batteur de DOOL, ouhlala, restons zen) mais aussi une poignée d'invités qui se succèdent : Lea Jacta Est et son thérémine d'une autre dimension, Benoît David de Grand Blanc, Théo Migeon à la guitare... Stéphane Paut, alias Neige d'Alcest, n'est pas sur scène mais s'assure depuis le public que Pâle Lumière n'est pas trop dénaturée sans lui.
Tout ce beau monde, ça envoie : les morceaux de Bleu Reine gagnent une nouvelle énergie, une pesanteur qui accentuent les émotions déballées avec élégance et poésie. Au mélange shoegaze / folk / chanson auquel on était habitué s'ajoute une grosse dose de rock sombre cathartique. Cool ! Sur scène, Bleu Reine se met facilement le public en poche grâce aux interventions de sa chanteuse Léa Lotz qui, avec son humour mélangeant pudeur, enthousiasme et un soupçon de nervosité introduit ses titres avec quelques mots, toujours amusants et touchants.
On sent que ce live était un gros morceau pour le groupe. On profite du travail sur les lumières avec du bleu pour le coup de blues, bien sûr, de la fumée quand il faut pour l'ambiance spectrale mais aussi une belle variété de palettes. On s'amuse de voir tous ces gens défiler pour un ou deux morceaux, le plaisir qu'ils prennent sur scène est contagieux et surtout flagrant dans une dernière partie de concert surréaliste : il y a tout d'abord eu cette reprise en français version "barde core" (deux voix, deux guitares) de Something in the Way de Nirvana (qui devient Quelque chose en Chemin) puis une reprise improvisée de Gourmandises d'Alizée avec Léa Jacta Est et Mathilde de Championne. Le résultat est étrangement classe, comme un élan de grâce que l'on déguise d'un sourire timide. Le pire, c'est qu'on n'est même pas surpris, en fait. Une version "chaussée aux moines" de Les Yeux Fermés, avec tout le monde qui chante en chœur sur scène servira de final à cette belle soirée où la mélancolie est les vagues à l'âme ont été sublimées et transformées en un instant atypique et unique.